À peine signé, en 1814, le traité de Gand[1]
mettant fin à la guerre de 1812 entre les États-Unis et la Grande-Bretagne,
semble déjà sur le point d’être violé.
Les forces d’occupation
britanniques sentent immédiatement le besoin de renforcer les défenses, surtout
pour protéger les approvisionnements du Haut-Canada, jugé plus précieux car
majoritairement anglophone.
Et, cette protection passe
nécessairement par la défense de Montréal, maillon capital protégeant la voie
fluviale du Saint-Laurent.
Or, il semble évident aux
stratèges que Montréal toute seule ne saurait pas se défendre adéquatement et
qu’il faut au moins bloquer entièrement le Richelieu afin de protéger la ville.
Mais une question épineuse se
pose : faut-il continuer à miser sur une éventuelle suprématie navale – ce
qui a été ruineux lors de la guerre de 1812 – ou faut-il plutôt miser sur des
défenses terrestres?
Toutes choses considérées, la
voie terrestre est privilégiée, surtout que les Étatsuniens semblent beaucoup
mieux équipés côté construction marine et qu’ils ont justement érigé un fort[2]
à Rouse’s Point, près de frontière là où le lac Champlain se déverse dans le
Richelieu.
Après de longues tergiversations,
la décision est prise de construire un fort de pierre dans l’Île aux Noix et
les travaux sont lancés en 1819.
Désireuse, dans la mesure du
possible, de n’avantager que des compatriotes, l’armée se tourne vers des
entrepreneurs qui, souvent, ont été d’anciens soldats ayant conservé de solides
liens avec la hiérarchie militaire et qui sont susceptibles de profiter de
renseignements privilégiés.
Dans le cas de Peter Rutherford,
il s’agit d’un commerçant de Montréal bien en selle dans les milieux huppés.
C’est lui qui est choisi pour
fournir la pierre devant servir à la construction de la forteresse.
Bien sûr, il y a bien de
nombreuses carrières au Bas-Canada, mais y recourir avantagerait des
entrepreneurs canadiens français, ce qui n’est pas du goût des anglophones.
Rutherford préfère contacter ses
liens d’affaires au Vermont et, alléguant que les carrières
canadiennes-françaises sont trop éloignées et que le coût du transport serait
prohibitif, il achète sa pierre à une carrière de l’île La Motte, en plein
territoire ennemi…
Quand on dit que l’argent n’a pas
d’odeur…