mardi 18 décembre 2018

LE FORT CONSTRUIT AVEC LA PIERRE ENNEMIE…




À peine signé, en 1814,  le traité de Gand[1] mettant fin à la guerre de 1812 entre les États-Unis et la Grande-Bretagne, semble déjà sur le point d’être violé.

Les forces d’occupation britanniques sentent immédiatement le besoin de renforcer les défenses, surtout pour protéger les approvisionnements du Haut-Canada, jugé plus précieux car majoritairement anglophone.

Et, cette protection passe nécessairement par la défense de Montréal, maillon capital protégeant la voie fluviale du Saint-Laurent.

Or, il semble évident aux stratèges que Montréal toute seule ne saurait pas se défendre adéquatement et qu’il faut au moins bloquer entièrement le Richelieu afin de protéger la ville.


Mais une question épineuse se pose : faut-il continuer à miser sur une éventuelle suprématie navale – ce qui a été ruineux lors de la guerre de 1812 – ou faut-il plutôt miser sur des défenses terrestres?

Toutes choses considérées, la voie terrestre est privilégiée, surtout que les Étatsuniens semblent beaucoup mieux équipés côté construction marine et qu’ils ont justement érigé un fort[2] à Rouse’s Point, près de frontière là où le lac Champlain se déverse dans le Richelieu.

Après de longues tergiversations, la décision est prise de construire un fort de pierre dans l’Île aux Noix et les travaux sont lancés en 1819.

Désireuse, dans la mesure du possible, de n’avantager que des compatriotes, l’armée se tourne vers des entrepreneurs qui, souvent, ont été d’anciens soldats ayant conservé de solides liens avec la hiérarchie militaire et qui sont susceptibles de profiter de renseignements privilégiés.

Dans le cas de Peter Rutherford, il s’agit d’un commerçant de Montréal bien en selle dans les milieux huppés.


C’est lui qui est choisi pour fournir la pierre devant servir à la construction de la forteresse.

Bien sûr, il y a bien de nombreuses carrières au Bas-Canada, mais y recourir avantagerait des entrepreneurs canadiens français, ce qui n’est pas du goût des anglophones.

Rutherford préfère contacter ses liens d’affaires au Vermont et, alléguant que les carrières canadiennes-françaises sont trop éloignées et que le coût du transport serait prohibitif, il achète sa pierre à une carrière de l’île La Motte, en plein territoire ennemi…

Quand on dit que l’argent n’a pas d’odeur…


[1] Entré en vigueur en février 1815.
[2] Appelé familièrement Fort La Gaffe (Fort Blunder), car construit en territoire britannique à la suite d’une erreur d’arpentage…