mardi 2 décembre 2014

NAPIERVILLE DISPARAÎT...



Au Québec, le régime municipal doit son existence à la révolte des vaillants Patriotes qui se sont levés en 1837 et 1838 pour combattre la corruption et la gabegie des forces d’occupation.
 
Dépêché sur place par Londres pour trouver les moyens de faire disparaître les Canadiens-français, John George Lambton, comte de Durham, propose entre autres la création d’organismes qui seraient chargés d’administrer chemins, routes et rues.


Ceci permettrait de passer outre à la volonté des députés – tous Canadiens français – qui ne veulent pas laisser les forces coloniales dépenser les impôts à leur guise.


De tâtonnement en tâtonnement, la «clique du château[1]», comme on l’appelait à l’époque, fera imposer 4 lois entre 1840 et 1855 pour contourner l’assemblée législative et faire émerger les premiers balbutiements du régime municipal.


En application de ces lois, Saint-Cyprien naît le 1er juillet 1845 et son territoire couvre toute la paroisse du même nom, y inclus Napierville.  


Mais des notables de cette agglomération, peu désireux de financer des services dans les rangs, s’entendent pour demander la séparation d’avec ce qu’ils appellent la campagne.  


À la suite d’un cheminement laborieux, Napierville apparaît donc,  le 21 février 1855, grâce à un décret du gouverneur.


 En 1855, chacun des deux villages a maintenant son conseil municipal et chacun vaque à ses occupations, adopte des règlements de régie interne, d’entretien des routes et fossés, de la vitesse à respecter («au trot ordinaire»), etc.


Puis, patatras, le 14 avril 1856, le Conseil municipal de Napierville est convoqué à une réunion spéciale :

À une session spéciale du Conseil municipal du Village de Napierville, dûment convoquée par avis donné à tous les membres  et tenue au lieu des séances ordinaires dudit Conseil, dans le dit village de Napierville, le quatorzième jour d’avril mil huit cent cinquante-six à sept heures de l’après-midi;

Joseph-Gaspard Laviolette, maire de Napierville
Présents          Joseph-Gaspard Laviolette, Maire, Grégoire Racicot, Toussaint Catudal, Joseph-Raymond Crépeau, Louis Marceau, François-Xavier Monast, François-Raymond Morrier, Conseillers;

Proposé par J-R Crépeau, secondé par Toussaint Catudal, que le Conseil du Village de Napierville, ayant pris communication d’une proclamation de son Excellence décrétant l’abolition de la municipalité du susdit village et son annexion à la municipalité de la paroisse de Saint-Cyprien adresse à J.O. Bureau Ecr.[2], représentant du Comté de Napierville la lettre suivante afin de le prier de bien vouloir bien employer tous les moyens en sa disposition pour nous procurer une copie de tous les documents qui ont servi de base à la décision de l’exécutif dans cette affaire. 
  
 La dite proposition passe à l’unanimité.
 

Après quoi les procédés dudit Conseil furent ajournés au premier lundi de mai prochain à sept heures de l’après-midi.                                                                                                       
 J-G Laviolette, Maire                                                                       
 Jos Brunelle, Sec. Trés.   
        [3]           

N’ayant pas eu gain de cause, le conseil se réunit un peu plus tard pour prendre quelques mesures conservatoires, notamment pour percevoir les dernières créances et pour mettre en vente le mobilier de sa salle de conseil...


Et puis, le 30 décembre 1856...

   À une session spéciale du Conseil municipal du Village de Napierville, dûment convoquée par avis spécial donné à tous les membres  et tenue au lieu des séances ordinaires dudit Conseil, tenue, le trentième jour de décembre mil huit cent cinquante-six à sept heures de l’après-midi, où les membres suivants sont présents, savoir :

                                                              
 
Présents          Joseph-Gaspard Laviolette, Maire, François-Xavier Monast, Louis Marceau, Toussaint Catudal,            
Sur motion du Conseiller Louis Marceau, secondé par le Conseiller Fr. X. Monast, il est résolu :

[...]

Après quoi les procédés dudit Conseil furent finis.

Jos Brunelle, Sec. Trés.                                             J-G Laviolette, Maire


Ce sont là les derniers mots du dernier procès-verbal de ce conseil.  Notons qu’à cette ultime réunion, 3 conseillers ont brillé par leur absence : Grégoire Racicot, Joseph-Raymond Crépeau, François-Raymond Morrier.


Selon l’historien Lionel Fortin[4], la disparition de la municipalité de Napierville aurait été tramée en catimini par l’ancien – et premier – maire de Napierville, le notaire Antoine Merizzi.   

Ce dernier aurait discrètement fait circuler une pétition à cet effet avant de l’acheminer avec succès aux bureaux du gouverneur.


La dissolution de Napierville et son annexion par Saint-Cyprien entreront officiellement en vigueur le 1er janvier 1857, et, dès le 5 janvier, le conseil de Saint-Cyprien siège comme si de rien n’était :
 
L'édifice de comté hébergeait la mairie à cette époque.
À une session générale et mensuelle du Conseil municipal de la paroisse de Saint-Cyprien tenue au Palais de Justice au village de
Napierville au lieu ordinaire des séances en la paroisse de Saint-Cyprien, lundi le cinquième jour de janvier de l’année Mil huit cent cinquante sept, conformément aux dispositions de « l’acte des municipalités et chemins » de 1855 à laquelle assemblée sont présents Julien Grégoire Ecr Maire dudit Conseil, Hubert
Julien Grégoire, maire de Saint-Cyprien.
Grégoire Ecr, Pierre Cyr, Noël Boudreau, Louis Lussier et Julien Rémillard, membres dudit Conseil et formant un quorum d’icelui.  Le dit Julien Grégoire présidant comme Maire le dit Conseil, le dit Conseil par les présentes ordonne et fait le règlement suivant, savoir :


Règles & Règlements  du Conseil municipal de la paroisse de St-Cyprien, etc. etc.

Le régime commun durera jusqu’au 1er janvier 1873.

Puis la querelle des services à assurer dans les rangs reprend de plus belle et les gens de Napierville entreprennent à nouveau de se replier sur leurs intérêts immédiats.   

Des démarches pour obtenir la séparation des deux entités débutent dès 1871 et aboutiront 2 ans plus tard.


Cette fois-ci sera la bonne et, depuis, tant Saint-Cyprien que Napierville mènent leur barque de façon distincte et appropriée aux besoins de leurs commettants.


Longue vie aux deux!






[1] La clique du château désigne un regroupement de profiteurs proches du gouverneur et lui dictant ses décrets.
[2] Écuyer : c’est un titre de courtoisie que les Anglais se distribuaient entre eux et qui faisait plus chic que Monsieur.  Certains québécois l’ont aussi singé.

[3] Tiré des procès-verbaux municipaux de la date indiquée.
[4] Saint-Cyprien et Napierville, 175 ans, 1823-1998, édité par le Comité des fêtes des 175 ans de Saint-Cyprien et Napierville.